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Iles Eparses: les cailloux oubliés de la Republique

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A l'entrée nord du canal du Mozambique et à 222 kilomètres de Madagascar, la Grande Glorieuse est la plus importante île de l'archipel des Glorieuses, un des cinq Eparses. Elle mesure 2,3 kilomètres de long sur 1,7 kilomètres de large, et culmine à 14 mètres.

A l'entrée nord du canal du Mozambique et à 222 kilomètres de Madagascar, la Grande Glorieuse est la plus importante île de l'archipel des Glorieuses, un des cinq Eparses. Elle mesure 2,3 kilomètres de long sur 1,7 kilomètres de large, et culmine à 14 mètres.
© Benoit Gysembergh
De notre envoyé spécial aux îles Éparses Benoit Gysembergh

La France se penche enfin sur ses cinq îles Éparses perdues du côté de Madagascar.

A l’abri des trois couleurs, le temps flâne et les heures coulent langoureuses et apaisées ; laisse-toi bercer par le chuchotement de la vague et le murmure des grands filaos, à Juan de Nova, l’île du soleil et du sourire : tu es le bienvenu », assure un panneau, accroché au mur de l’ancienne station météo, reconvertie en gendarmerie.

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« Monsieur le gendarme ! Monsieur le gendarme ! » Patrick de La Fuente Rodilana, sportif et tête rase, vingt-sept années de service, apparaît en short, armé d’un trident bricolé au bout d’un manche à balai. Il chasse le rat. Habituellement en poste dans une brigade de La Réunion,il a été volontaire pour séjourner ici quarante-cinq jours. Un Transall C-160 de l’armée de l’air l’a déposé il y a cinq jours avec 14 artilleurs du 1er RIMa d’Angoulême. Il représente ici l’autorité française.

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Sa première mission est d’interdire l’accès de l’île aux visiteurs non autorisés, et les autorisations ont été rares ces dernières décennies. La France préférait rester discrète quant à l’existence des Eparses, afin de ménager la susceptibilité des pays voisins, qui les réclament. Comme tous les autres gendarmes des Eparses, il repère également les embarcations qui pêchent illégalement dans ces eaux françaises. Il ne peut intervenir, faute de moyens nautiques, et se contente d’en signaler la présence, pour qu’intervienne éventuellement un bateau militaire.

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En 2004, la marine française a ainsi arraisonné deux chalutiers japonais. Ils ont été conduits à La Réunion, leur cargaison de 140 tonnes de thon a été saisie, leurs hommes d’équipage ont été consignés à bord, leurs capitaines ont été interrogés par les autorités et leur armateur a été condamné à 75 000 euros d’amende. Mais, depuis, plus rien. Alors, le gendarme prend son mal en patience. Chaque matin, il parcourt les immenses plages de sable blanc. Il relève le nombre de traces de tortues venues pondre pendant la nuit et ramasse les déchets que la mer a rejetés. Sa mission accomplie, il peut revenir par les chemins ombragés où la senteur des filaos rappelle les odeurs de la Provence.

Au cœur de l’île se dresse une jolie construction de deux étages qui menace de s’écrouler : la maison Patureau. La seule de toutes les Eparses. Les plus proches voisins d’Hector Patureau se trouvaient à 175 kilomètres en direction de Madagascar , et à 280 kilomètres de l’autre côté, au Mozambique . C’était un solide gaillard qui exploitait le guano. Il employait des ouvriers seychellois et mauriciens d’une façon réputée sévère. Une prison aux solides barreaux témoigne de la rudesse des rapports entre l’exploitant et son personnel. Les seuls autres vestiges de cette exploitation sont le petit train Decauville qui amenait le guano au ponton d’embarcation – aujourd’hui en ruine – et les deux cimetières d’une quarantaine de tombes, entretenues par les militaires de passage.

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Deux fois par jour, l’adjudant enfourche son VTT de fonction et remonte la piste d’aviation pour rejoindre le camp militaire, constitué d’une dizaine de baraquements. Il y prend ses repas avec ses compagnons de quarante-cinq jours, avant de repartir, solitaire, sur son vélo, vers sa gendarmerie.

Ces derniers jours, la vie quotidienne a été sérieusement perturbée par le passage du « Marion-Dufresne », bâtiment mythique des Taaf (Terres australes et antarctiques françaises). Cargo, pétrolier, paquebot, bateau scientifique et porte-hélicoptères à la fois, plus habitué aux mers froides des 40es rugissants et 50es hurlants qu’aux eaux chaudes et turquoise de l’océan Indien. Ambitieuse, la première mission du « Marion-Dufresne » est écologique : il s’agit de débarrasser les Eparses des 700 tonnes de déchets accumulés au fil des ans par les météorologues et les militaires. Des centaines de plaques de PVC qui ont servi à la construction des premières pistes aériennes, du verre, des métaux, des bonbonnes de gaz, des acides, des peintures, de vieux frigos, des pièces de tracteur, 14 tonnes de batteries usagées, 6 tonnes de kérosène périmé et 2 tonnes d’huile, entre autres exemples. Depuis 2008, des équipes techniques des Taaf ont été dépêchées pour trier, découper et conditionner des fardeaux de 500 à 700 kilos. Pendant vingt-huit jours, le «Marion» a fait le tour des îles pour les enlever. Un hélicoptère d’Heli­lagon, une compagnie privée de La Réunion, a effectué plus d’un millier de rotations. Ces déchets seront finalement recyclés à La Réunion et en métropole. La deuxième mission du navire a été de débarquer une quarantaine de scientifiques dans le but de mieux connaître ces îles et leur exceptionnel patrimoine biologique terrestre et marin. La dernière mission, plus politique, consiste à préparer le départ des militaires, qui, par manque de moyens, peinent à assurer leur tâche. Une date butoir a été fixée à 2014.

La première escale du « Marion-Dufresne », mouillé à quelques encablures de l’île d’Europa, est un soulagement pour les 14 soldats du 6e régiment du génie d’Angers et pour le gendarme Roux : ils n’ont pas été remplacés, comme prévu, à leur quarante-cinquième jour. Ils en sont au cinquante-cinquième et attendent impatiemment la relève. Une des spécificités d’Europa est, en effet, difficile à supporter : à la tombée du jour, la surabondance de moustiques tourne au cauchemar. Beaucoup de conserves sont périmées dans les réserves, le pain est rationné et les cigarettes manquent depuis plus d’une semaine. Le moral n’est pas des meilleurs.

Un des 17 programmes scientifiques apportés par le « Marion » tombe à pic : l’éradication de tous les animaux importés volontairement ou involontairement par l’homme (souris, rats, chats et... chèvres). David, redoutable chasseur, employé par les Taaf comme berger aux Kerguelen, en profite pour capturer et tuer une quinzaine de cabris. Il fait le bonheur des militaires, affamés de produits frais. Les hommes du « Marion » quitteront l’île d’Europa sous une haie d’honneur. En décembre dernier, les détachements sont restés encore plus longtemps : quatre-vingts jours. L’un des deux C-160 Transall basés à La Réunion, chargés des missions de relève et de ravitaillement des Eparses, a cassé une aile sur la piste de la Grande Glorieuse. Des dizaines de rotations du deuxième appareil ont été nécessaires pour amener 70 tonnes de matériel et une trentaine de spécialistes et de techniciens. Un Iliouchine russe a été affrété pour transporter les 13,50 mètres de l’aile neuve. La réparation de l’avion a duré trois mois, puis un pilote d’essai est venu de métropole à Glorieuse pour s’assurer qu’il était de nouveau apte à voler. La facture a été salée. Cet incident démontre que les Eparses restent chères à entretenir dans cette logique de soutien. L’armée souhaiterait trouver une solution moins onéreuse. En outre, les bâtiments et le matériel vieillissent mal. La brièveté des séjours ne pousse guère les chefs de détachement à s’engager dans des travaux : la relève s’en occupera...

Le « Marion-Dufresne » est resté trois jours devant Europa, trois autres jours au large de Juan de Nova, quatre aux Glorieuses, et un seulement devant Tromelin, dont militaires et gendarmes sont absents. Seuls quatre météos occupent le territoire. L’abordage de l’île est si difficile qu’il est inutile de la protéger. La mission scientifique embarquée est très diversifiée : immersion d’hydrophones pour connaître la fréquentation des cétacés et des bateaux, étude de faisabilité d’installation de stations marégraphes et de construction de pontons, études géomorphologiques et de la biodiversité. Observation et baguage d’oiseaux et de tortues. Recherche sur les requins et les épaves. Comptage des espèces, en vue de leur protection ou... de leur éradication : les scientifiques accusent les chèvres amenées là au siècle dernier de dégrader la flore. Quant aux chats, qui sont moins d’une dizaine sur chaque île, ils avaient été lâchés pour s’occuper des rats mais ont préféré se nourrir de sternes. Il leur est reproché d’en tuer quatre par jour, en moyenne, et d’en manger seulement la moitié d’une. Un gâchis. Sachant que deux millions de couples de sternes viennent chaque année se reproduire sur Juan de Nova, des scientifiques pensent autrement. Que la marge est encore large et que, sans aucun chat, les rats prendront plus d’assurance. Un des débats de scientifiques, parmi d’autres, qui ont agrémenté le voyage des 30 touristes embarqués pour cette tournée exceptionnelle. Ils ont déboursé 7 800 euros chacun pour les vingt-huit jours de mer. Héliportés matin et soir, ils ont été les premiers vacanciers à fouler ces îles méconnues, certainement les plus sauvages de la planète.

Le préfet des Taaf, Rollon Mouchel-Blaisot, étudie toutes les possibilités pour que le budget des îles Eparses ne soit plus uniquement imputé à la Défense. En tout état de cause, renoncer à la présence française les condamnerait à un pillage certain. Un défi à relever.

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