Vue aérienne de l'île de Grande Glorieuse, l'une des Iles Eparses, le 9 avril 2014

Vue aérienne de l'île de Grande Glorieuse, l'une des Iles Eparses, le 9 avril 2014

afp.com/Sophie Lautier

Un décor de carte postale. Face aux eaux turquoise, ce 23 octobre 2019, Emmanuel Macron foule le sable fin de l'île Grande Glorieuse, à 8 000 kilomètres de Paris. Jamais un président français n'avait mis les pieds sur ce minuscule bout de terre, au nord-ouest de Madagascar. "Ici, c'est la France, c'est notre fierté, notre richesse", dit-il alors.

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Cinq mois plus tôt, Andry Rajoelina tenait un tout autre discours sous les dorures du palais de l'Elysée. Invité par son homologue français, le président malgache avait alors réclamé le retour de quatre des cinq îles Eparses, dont les Glorieuses, dans le giron de son pays. Pour lui aussi, il s'agit d'une "question d'identité nationale". Dans la foulée, Emmanuel Macron avait accepté de mettre en place une commission mixte pour aboutir à une solution consensuelle d'ici au mois de juin 2020, date du soixantième anniversaire de l'indépendance de l'ex-colonie française. Mais le processus est aujourd'hui au point mort. En juillet dernier, un rapport du Sénat soulignait même "l'urgence de réaffirmer la souveraineté de la France sur ces îles".

Infographie 3614 Iles eparses

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Bataille de souveraineté

À Tananarive, le gouvernement a un autre avis. "En portant cette revendication territoriale, Andry Rajoelina flatte la fibre patriotique de son peuple, explique Juvence Ramasy, maître de conférences à l'université de Toamasina. Cette demande fait consensus chez les Malgaches, qui considèrent que le refus de la France de restituer ces îles est la continuité d'un comportement colonial."

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Les Nations unies leur ont donné deux fois raison, en 1979 et en1980. L'organisation internationale a jugé que les îles Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India, éloignées les unes des autres de plusieurs centaines de kilomètres, ont été "séparées arbitrairement de Madagascar [...] au moment de son accession à l'indépendance." A l'époque, le général de Gaulle estime stratégique de conserver ces territoires - pour éventuellement y mener "nos expériences atomiques". Paris n'appliquera jamais les résolutions onusiennes - au caractère non contraignant.

Ressources marines et sous-marines

Situées dans le canal du Mozambique, ce long bras de mer séparant Madagascar du reste de l'Afrique, ces archipels des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) ne représentent que 43 kilomètres carrés de terres émergées. Mais ils sont précieux car ils donnent accès à une superficie maritime de 636 000 kilomètres carrés. Un territoire plus vaste que la métropole. Le détenteur de ces zones économiques exclusives (ZEE), une bande partant des côtes jusqu'à la ligne des 200 milles nautiques (370 kilomètres), peut y exploiter toutes les ressources marines et sous-marines.

De quoi susciter les convoitises. "Les immenses découvertes de gaz au large du Mozambique voisin [où opère le Français Total] sont venues alimenter le fantasme d'un canal du Mozambique qui recèlerait un véritable trésor pétrolier et gazier", raconte Benjamin Augé, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (IFRI). "Mais jusqu'à présent, nous n'avons pas de confirmation que les fonds marins des îles Eparses sont si riches", précise le spécialiste des hydrocarbures en Afrique, "proximité géographique ne signifie pas forcément proximité géologique".

"Maritimisation" des rapports de force

Le doute subsistera. En février, la France a finalisé l'interdiction de toute exploration et exploitation du sous-sol de ses territoires. Emmanuel Macron avait d'ailleurs profité de sa visite aux Glorieuses pour annoncer son classement en réserve naturelle. Avec leurs récifs coralliens quasiment intacts, les îles Eparses hébergent une biodiversité exceptionnelle, et constituent un laboratoire d'observation idéal de l'évolution du dérèglement climatique.

"Brandir la protection environnementale pour sécuriser des zones contestées devient une stratégie de plus en plus utilisée dans le monde", note toutefois Christiane Rafidinarivo, politiste et chercheur invité du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). "Même si elle ne les exploite pas tout de suite, il peut être utile pour la France de conserver ce potentiel de ressources à long terme".

Pour cette spécialiste de l'océan Indien, installée à la Réunion, cette bataille pour les île Eparses s'inscrit dans un contexte de "maritimisation croissante" des rapports de forces entre les grandes puissances. En occupant presque un tiers du canal du Mozambique, la France, détentrice du deuxième domaine maritime au monde, dispose d'un atout clé pour contrôler cette autoroute maritime parcourue par les supertankers pétroliers, les porte-conteneurs ou encore les thoniers.

A Madagascar, des émissaires russes ou encore chinois viennent régulièrement proposer des partenariats lucratifs aux autorités pour exploiter les ressources de son territoire. Lors de sa visite sur place en février, le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, a préféré ne pas venir les mains vides. Il a annoncé le quasi-doublement de l'aide française en faveur de son ancienne colonie.

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