A première vue, la Maxwell Air Force Base, qui s’étend sur un millier d’hectares en Alabama, est un complexe militaire comme un autre. Pourtant, de sinistres projets s’y préparent. Bientôt – si cela n’est pas déjà en cours –, des citoyens américains respectueux des lois seront arrêtés et enfermés là par un gouvernement fédéral oppressif. Pour preuve, les panneaux de circulation situés à proximité du camp pour orienter les camions de l’Agence américaine de sécurité civile [Federal Emergency Management Agency (FEMA), qui intervient lors de désastres, par exemple lors du passage de l’ouragan Katrina, en 2005]. Et cette base aérienne n’est qu’un des 800 camps de détention – au bas mot – mis en place par un gouvernement qui a perdu la raison. C’est en tout cas ce dont sont persuadés un nombre croissant d’Américains. La peur de voir le gouvernement fédéral invoquer une menace imaginaire pour pouvoir instaurer la loi martiale et confiner les patriotes dissidents dans des camps de concentration est en train de se répandre dans le pays, tandis que la droite radicale fait son retour.

L’année dernière, le commentateur de Fox News, Glenn Beck a consacré trois émissions à cette théorie en déclarant qu’il avait voulu “la déboulonner” mais qu’il n’y était pas arrivé.

Beaucoup de ces supposés camps seraient situés sur des bases militaires aux quatre coins du pays. Les conspirationnistes issus de la droite radicale affirment que la présence de voies ferrées et de pistes d’atterrissage à proximité de beaucoup de ces sites est la preuve qu’un camp de la FEMA y est prévu, car cela permettra d’y amener facilement les prisonniers par train et par avion. Ils prétendent également que le fait que les hauts grillages entourant certaines de ces bases soient surmontés de barbelés à lames de rasoir montre à quoi ces bases sont véritablement destinées. Les pointes des rasoirs sont dirigées vers l’intérieur, soulignent-ils, car ces barbelés ne sont pas faits pour empêcher des intrus de pénétrer dans les lieux, mais pour empêcher les prisonniers d’en sortir.


Jack McLamb

, un policier de Phoenix à la retraite qui professe depuis longtemps la théorie conspirationniste du mouvement patriote [voir l’article : “Debout contre le despotisme !”], a été jusqu’à affirmer que le gouvernement avait marqué les boîtes aux lettres de discrets points colorés de façon que, le jour où la loi martiale serait décrétée, les troupes étrangères au service du “nouvel ordre mondial” sachent quoi faire des personnes logeant à telle ou telle adresse. Si votre boîte est marquée d’un point bleu, vous êtes embarqué à destination d’un camp de la FEMA ; un point rose, vous êtes voué à l’esclavage ; un point rouge, vous êtes exécuté sur-le-champ d’une balle dans la tête.

Ces histoires à propos des camps de la FEMA ne datent pas d’hier. Il y a une trentaine d’années, en 1982, une lettre d’information du groupe antisémite d’extrême droite Posse Comitatus avertissait déjà que les authentiques patriotes seraient enfermés dans des camps de détention gérés par la FEMA. S’ils parlent beaucoup de camps de détention pour civils, les conspirationnistes sont extrêmement vagues sur les détails. Leurs listes de sites de détention ne donnent souvent rien d’autre que le nom d’une base militaire ou d’une installation du même genre. Dans les cas où ils fournissent un peu plus d’informations, celles-ci peuvent verser dans les spéculations les plus folles. Ainsi à Pensacola, en Floride, “on pense qu’un complexe de détention pourrait être aménagé à tout moment en pleine campagne”. Un conspirationniste affirme même que “le plus gros complexe de ce genre”, un “immense établissement pour malades mentaux” proche de Fairbanks, en Alaska, “pourrait accueillir environ 2 millions de personnes”.
Un autre camp de détention déjà en service ou susceptible de le devenir serait celui de Fort ­Chaffee, dans l’Arkansas. Cette ancienne base de l’armée américaine a été transférée à la garde nationale militaire de l’Arkansas en 1997 et sert aujourd’hui de centre d’entraînement. Au cours des dernières années, des terrains appartenant à la base ont été réquisitionnés pour être transformés en terrains constructibles. Cela n’empêche pas les conspirationnistes d’être convaincus que Fort Chaffee a été doté d’une nouvelle piste d’atterrissage et de nouvelles installations capables d’accueillir 40 000 détenus.

“Ça nous fait bien rigoler”, affirme le capitaine Chris Heathscott, de la garde nationale de l’Arkansas, un corps de réservistes qui relève autant des autorités de l’Arkansas que du gouvernement fédéral. D’après Heathscott, 7 000 soldats au maximum peuvent s’entraîner à Fort Chaffee, qui serait bien incapable d’accueillir 40 000 personnes. Et aucun nouveau camp n’a été construit, même si certains des vieux baraquements de la base ont été réaménagés pour loger temporairement des soldats et des personnes évacuées à la suite de l’ouragan Katrina.
Pour croire à l’existence des camps de détention de la FEMA, il faut supposer que personne n’a jamais réussi à s’évader de l’un d’entre eux et à raconter son histoire. Il faut également admettre qu’aucun des employés censés travailler dans ces nombreux camps n’a jamais soufflé mot de son travail. Il faut croire qu’aucun des 100 sénateurs et des 435 députés américains ne connaît l’existence de ces camps, ou alors qu’aucun ne s’en est suffisamment ému pour réclamer des auditions à ce sujet. Il faut également penser que pas un seul journaliste travaillant pour un média national n’a jamais mis son nez dans cette ignoble entreprise.
Mais les patriotes et autres tenants de la théorie du complot – qui ont récemment quitté la marge pour diffuser leurs idées dans les rangs du mouvement Tea Party* et ceux d’autres groupes populistes ou nativistes – croient à tout cela, et ils y croient fermement. Lorsque Glenn Beck a fini par reconnaître qu’il n’existait aucune preuve de l’existence de camps de la FEMA, l’animateur radio Alex Jones a déversé un tombereau d’insultes sur l’animateur de Fox, le qualifiant, d’“agent manipulé” et de “pauvre merde”.