À la découverte des îles Éparses

À la découverte des îles Éparses avec Sylvain Tesson (France Ô)

À l’occasion de la COP24, la chaine France Ô se penche, avec un documentaire, sur la préservation de certaines îles. C’est ainsi l’écrivain Sylvain Tesson qui va faire découvrir aux téléspectateurs les îles Éparses, minuscules îles oubliées dispersées autour de Madagascar dans l’océan Indien.

Sylvain Tesson appartient au petit groupe des écrivains de la Marine. Des auteurs qui ont le droit d’embarquer aux côtés des équipages, pour partager des missions de la Marine nationale. Dans le cadre d’une mission de ravitaillement de l’archipel des îles Éparses de l’océan Indien, il part à la découverte de ces îles minuscules : un ensemble d’îlots oubliés, situés autour de Madagascar, que la France a maintenu sur son territoire pour des raisons géostratégiques. Elles appartiennent aujourd’hui aux Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF).

Ce film suit l’embarquement de Sylvain Tesson, au cours duquel il partage la mission singulière des marins. Le bateau relie chaque terre des îles Éparses pour ravitailler ou relever les petites escouades qui demeurent sur place en permanence et représentent l’autorité française sur ces cailloux perdus. La mission a également pour but de contrôler les zones de pêche et surveiller le canal du Mozambique exposé aux actes de piraterie.

Les spectateurs partageront avec lui un regard littéraire sur une mission stratégique qui porte également une dimension romantique.

Réalisation : Christophe Raylat – Production : Nomade Productions avec la participation de France Télévisions

Note d’intention de Sylvain Tesson

La garde oubliée 

Les îles Éparses piquettent l’océan Indien de leurs confettis à peine visibles à l’œil de l’amateur de planisphère. 

Elles forment un groupe affleurant disséminé autour de Madagascar. 

Elles sont devenues françaises par les hasards et les gloires de l’Histoire. Europa, Bassas de India, Tromelin, Juan de Nova, Glorieuses : voilà leur nom. 

Ces noms lavés de ressac sont leurs seules richesses, car ces débris coralliens ne possèdent pas de ressources. 

Elles ont piégé des dizaines de bâtiments sur leurs récifs à peine détectables par l’homme de hune. 

Si bien que d’incroyables histoires de douleur et de survie se sont écrites sur ces patries de crabes. 

Éparses, elles le sont ces îles, perdues, seules, à moitié oubliées dans le canal du Mozambique et le large de l’Océan indien. Elles ne disposent de rien de commun pour prétendre appartenir à un archipel. 

Pourtant quelque chose les lie. 

C’est le sentiment qu’elles font naître dans l’esprit de ceux qui entendent prononcer leur nom et rêvent de courses dangereuses et de territoires mystérieux.


 


En octobre dernier, Sylvain Tesson a embarqué sur le bâtiment multi-missions (B2M) Champlain pour une mission de ravitaillement de trois semaines sur les îles Éparses, dans l’océan Indien. À cette occasion, l’écrivain voyageur pour qui « un bateau est une projection de la pensée humaine dans une géographie immémoriale » a répondu aux questions de Cols Bleus.  

COLS BLEUS : Quel est votre rapport à la mer ? Que vous apportent ces embarquements ?

Sylvain Tesson : Jusqu’à ce que le groupe des écrivains de marine m’octroie l’insigne honneur de m’accueillir en sa confrérie, j’avais un rapport lointain à la mer. Olivier Frébourg, directeur des Éditions des Équateurs, me parlait souvent de cette compagnie amicale et indéfinissable, fondée par Jean-François Deniau. J’avais bien embarqué comme mousse pendant un mois sur un chalutier breton, traversé l’Atlantique à la voile et j’avais bien rejoint la Terre de Baffin depuis le Groenland sur une goélette, mais mes expériences de navigation s’arrêtaient à ces aventures.

La plupart du temps, je voyageais par voie de terre dans des territoires continentaux, le Gobi, le Tibet, l’Himalaya où la mer s’était retirée depuis des millions d’années. J’avais essayé une fois d’atteindre les rivages de la mer d’Aral, mais les Soviétiques l’avaient asséchée ! En somme, à chaque fois que je convoitais la mer, elle se dérobait ! Puis, grâce aux écrivains de marine, j’eus le privilège de pouvoir embarquer à bord de la Jeanne d’Arc (sous le commandement du commandant Bléjean), à bord du Ventôse (frégate de surveillance commandée par le commandant Lebarbier), à bord de l’Améthyste (SNA), du Terrible (SNLE) en compagnie du commandant Chétaille qui partage avec moi un intérêt marqué pour le Premier Empire.

Dès lors, je compris que l’on éprouve sur l’eau une autre épaisseur du temps. En outre, ces embarquements m’amènent à côtoyer les équipages et pour moi qui ai le naturel solitaire et le penchant érémitique, c’est une expérience cruciale d’être mêlé aux hommes du bord pendant quelques semaines. La mer est un espace qui fut assez étranger à mon éducation. Quand j’avais annoncé à mon père que j’allais plonger à bord d’un sous-marin nucléaire, il m’avait dit : « Surtout ne touche à rien ! »

C. B. : Pourquoi avoir choisi en particulier la mission du Champlain aux îles Éparses ?

S. T. : Rien ne pouvait m’attirer davantage que ce nom d’Éparses. Je crois à la beauté des noms. Ils justifient un départ. Il y a une dimension littéraire dans l’affirmation de la souveraineté française sur des îlots perdus, en plein canal du Mozambique.

Penser que des soldats – légionnaires ou paras – lèvent chaque matin les couleurs devant des peuples de crabes et de tortues est une idée magnifique. Car la continuité de l’État se joue dans les symboles et demander à un détachement de vingt hommes d’assurer ces vieux gestes au milieu du néant océanique est un acte de haute portée poétique.

Le Champlain, commandé par le capitaine de corvette Michel Pethuisot, est un navire dont la polyvalence, la réactivité et l’autonomie me ravissent. J’aime l’idée de marins qui se voient chaque jour assigner un faisceau de tâches diverses, d’apparence antinomiques. Si le travail n’était pas aussi compartimenté dans la société civile il y a fort à parier que les choses iraient mieux.

C. B. : Quelle place accordez-vous à la Marine dans vos écrits ?

S. T. : J’ai certes écrit quelques nouvelles maritimes, mais ce sont des fragments, aussi épars que des atolls coralliens dans l’océan Indien. Pour l’instant, j’ai davantage tiré mon inspiration du cœur de continents traversés. Mais je ne désespère pas d’écrire un jour un livre sur la mer. Je raconterai peut-être ma traversée de l’Atlantique sur le bateau à voile d’Antoine Gallimard qui portait un nom prédestiné à toute forme de navigation : L’Imaginaire.

Si l’on considère les choses d’un point de vue géologique, il ne faut jamais oublier qu’on est toujours plus proche de la mer qu’on ne le pense. À chaque fois que je grimpe sur des falaises de calcaire, je pense que je me trouve sur les vieux fonds marins de l’ère secondaire, exondés lors des soulèvements tectoniques postérieurs. Je croise un fossile et je me dis : « Celui-là a vécu dans les grandes profondeurs et le voilà sous le soleil. » Souvent, la Terre est un fond de mer qui a pris l’air.

C. B. : Vous sentez-vous marin à part entière ? 

S. T. : Je n’aurais pas cette outrecuidance. Deviendrait-on marin parce que l’on embarque ? On deviendrait alpiniste en montant dans un téléphérique ! Je me sens maritime, maritimisé, mariné dirais-je même, si cela n’était pas un vocabulaire de poissonnier.

Je dois faire l’aveu que parfois, le fait de porter les galons de capitaine de frégate de réserve me procure une gêne. Non point que je n’éprouve une immense fierté à les épauler mais parce que, vénérant le principe de la légitimité, il me semble ne pas mériter ces attributs.

L’amiral Loïc Finaz, poète, écrivain de marine et directeur de l’École de guerre à qui je m’ouvrais de ce malaise, me disait qu’il ne fallait pas que ces galons nous pèsent puisqu’ils symbolisaient et authentifiaient un attachement à la Marine, sérieux, solennel, fait de considération bilatérale et exprimaient le lien profond qui lie la littérature au monde maritime. Et puis, nous avons dans notre groupe de véritables marins : Isabelle Autissier, l’amiral Bellec, Jean-Michel Barrault, Patrice Franceschi…

C. B. : Quels sont vos projets au sein de la Marine ? 

S. T. : J’aimerai embarquer encore et continuer à connaître ce ralentissement du temps, cet enfermement dans « l’espace ouvert », cette solitude en équipage, ce calme concentré, cette tension précise, cette passion turbulente des marins pour leur métier. Un bateau est une projection de la pensée humaine dans une géographie immémoriale. Embarquer est un privilège, un honneur, une joie.

C. B. : Avez-vous un mot pour les lecteurs de Cols Bleus

S. T. : Lisez de la poésie quand vous êtes en mission ! Quelques vers de Rimbaud pendant le quart, un couplet de Villon avant la ronde ou une grivoiserie de Verlaine au carré : rien de plus salutaire !

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