Las de voir leur garde-manger et leur pharmacie être dévastés sous leurs yeux sans même recevoir une compensation décente, disent-ils, les Atikamekw du Québec montent au front.
Manawan avertit le gouvernement québécois : la communauté impose un moratoire sur les coupes forestières, à la demande de ses 32 chefs de territoire. D’autres chefs de territoire de Wemotaci et d’Opitciwan veulent suivre le mouvement.
Si un chef de bande administre une communauté, les chefs de territoire surveillent et autorisent l'accès aux ressources sur leur territoire ancestral familial. Ils connaissent les secteurs de trappe, de piégeage, les frayères à poissons, les ravages d’orignaux, etc. Et consultent les membres de la famille avant toute décision. Ce sont généralement les frères les plus âgés des familles qui sont les chefs de territoire.
C’est la vie, ça, arrêtez de la détruire!
Mario Dubé montre les pins et autres arbres qui se dressent devant lui un peu avant l’entrée de Manawan, une communauté atikamekw située à 240 kilomètres de Montréal.
« Quand un ingénieur regarde ici, il va voir les mètres cubes de bois, le profit, les montants à gagner, tandis qu’un "Indien", il va voir la vie qui est dedans! »
En quelques mots, Mario Dubé, qui se définit comme gardien du territoire
, explique l’importance du Nitaskinan – le territoire ancestral – pour les Atikamekw et pourquoi il est prêt à risquer sa vie pour le protéger.
Son objectif? Préserver sa culture. Si ça continue, les jeunes n’auront plus d’endroits
pour aller chasser, trapper, récupérer des plantes médicinales, travailler l’écorce.
Quand on connaît le double sens du mot forêt en atikamekw, on comprend aisément le lien viscéral qui lie les presque 8000 membres de cette nation avec le territoire et tout ce qui s'y retrouve.
Notcimik veut dire forêt
, mais aussi là d’où je viens
. Et depuis des années, là d’où ils viennent
ne ressemble plus à grand-chose, et surtout pas à ce qu’ils ont connu dans leur jeunesse. Le silence et les étendues d’arbres ont été remplacés par le bruit des machines qui scient les troncs, les camions lourds de transport et de vastes endroits où seuls quelques arbres restent debout. Les nombreux orignaux, eux, ont fait place à quelques traces de sabots devenus trop rares.
En 2014, les Atikamekw ont déclaré unilatéralement leur souveraineté sur ce territoire ancestral de 82 000 km2 répartis autour de trois communautés : Manawan, Wemotaci et Opitciwan.
Près de dix ans après avoir bloqué plusieurs chemins forestiers et le chemin de fer en Haute-Mauricie afin de protester contre l’exploitation des ressources naturelles de leur territoire ancestral par les entreprises forestières, et malgré la déclaration de souveraineté, les Atikamekw n’arrivent toujours pas à avoir le contrôle sur le développement du Nitaskinan.
Au dernier sommet sur la gouvernance atikamekw au début d'octobre, les chefs de territoire présents ont fait part de leur colère contre les forestières. Trop souvent, ils ne ressentent pas de respect, ni le sentiment d’être vraiment écoutés de la part du gouvernement. Les gens sont fatigués de ça. Le ras-le-bol est de retour
, explique Constant Awashish, le grand chef du Conseil de la Nation Atikamekw.
Dans le Nitaskinan, la gronde se fait donc à nouveau sentir et s’intensifie avec la demande de moratoire par Manawan.
En mars 2021, un petit groupe, accompagné d'Innus et d'allochtones, a bloqué la route vers Manawan. Les chefs de territoire avaient déjà, eux, fait part de leur mécontentement au Conseil qui a, par la suite, écrit à Québec.
Au même moment, Wemotaci envoyait une lettre au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, qui évoquait des méthodes douteuses utilisées par l’industrie forestière pour les coupes de bois
, des conséquences à long terme d'une telle façon d'exploiter le territoire, et qui dénonçait le mépris
des exploitants.
Le conseil de Wemotaci réunit ses chefs de territoire à son tour cette semaine pour les écouter sur cette situation qui perdure. À Opitciwan, des familles ont aussi fait part de leurs inquiétudes au conseil de bande.