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Coupes forestières : le ras-le-bol des Atikamekw

Coupes forestières : le ras-le-bol des Atikamekw

« Consultations bidons, appétit vorace des forestières, territoire dévasté, non-respect des ententes, compensations ridicules »… les Atikamekw réclament plus de respect de leurs droits.

Textes et photos : Marie-Laure Josselin | Mise en page : Jean-François Villeneuve

Publié le 3 novembre 2021

Las de voir leur garde-manger et leur pharmacie être dévastés sous leurs yeux sans même recevoir une compensation décente, disent-ils, les Atikamekw du Québec montent au front.

Manawan avertit le gouvernement québécois : la communauté impose un moratoire sur les coupes forestières, à la demande de ses 32 chefs de territoire. D’autres chefs de territoire de Wemotaci et d’Opitciwan veulent suivre le mouvement.

Si un chef de bande administre une communauté, les chefs de territoire surveillent et autorisent l'accès aux ressources sur leur territoire ancestral familial. Ils connaissent les secteurs de trappe, de piégeage, les frayères à poissons, les ravages d’orignaux, etc. Et consultent les membres de la famille avant toute décision. Ce sont généralement les frères les plus âgés des familles qui sont les chefs de territoire.

C’est la vie, ça, arrêtez de la détruire! Mario Dubé montre les pins et autres arbres qui se dressent devant lui un peu avant l’entrée de Manawan, une communauté atikamekw située à 240 kilomètres de Montréal.

« Quand un ingénieur regarde ici, il va voir les mètres cubes de bois, le profit, les montants à gagner, tandis qu’un "Indien", il va voir la vie qui est dedans! »

— Une citation de   Mario Dubé, gardien de territoire, Manawan
Mario Dubé, gardien de territoire, Manawan
Mario Dubé, gardien de territoire, Manawan Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

En quelques mots, Mario Dubé, qui se définit comme gardien du territoire, explique l’importance du Nitaskinan – le territoire ancestral – pour les Atikamekw et pourquoi il est prêt à risquer sa vie pour le protéger.

Son objectif? Préserver sa culture. Si ça continue, les jeunes n’auront plus d’endroits pour aller chasser, trapper, récupérer des plantes médicinales, travailler l’écorce.

Quand on connaît le double sens du mot forêt en atikamekw, on comprend aisément le lien viscéral qui lie les presque 8000 membres de cette nation avec le territoire et tout ce qui s'y retrouve.

Notcimik veut dire forêt, mais aussi là d’où je viens. Et depuis des années, là d’où ils viennent ne ressemble plus à grand-chose, et surtout pas à ce qu’ils ont connu dans leur jeunesse. Le silence et les étendues d’arbres ont été remplacés par le bruit des machines qui scient les troncs, les camions lourds de transport et de vastes endroits où seuls quelques arbres restent debout. Les nombreux orignaux, eux, ont fait place à quelques traces de sabots devenus trop rares.

En 2014, les Atikamekw ont déclaré unilatéralement leur souveraineté sur ce territoire ancestral de 82 000 km2 répartis autour de trois communautés : Manawan, Wemotaci et Opitciwan.

Près de dix ans après avoir bloqué plusieurs chemins forestiers et le chemin de fer en Haute-Mauricie afin de protester contre l’exploitation des ressources naturelles de leur territoire ancestral par les entreprises forestières, et malgré la déclaration de souveraineté, les Atikamekw n’arrivent toujours pas à avoir le contrôle sur le développement du Nitaskinan.

Au dernier sommet sur la gouvernance atikamekw au début d'octobre, les chefs de territoire présents ont fait part de leur colère contre les forestières. Trop souvent, ils ne ressentent pas de respect, ni le sentiment d’être vraiment écoutés de la part du gouvernement. Les gens sont fatigués de ça. Le ras-le-bol est de retour, explique Constant Awashish, le grand chef du Conseil de la Nation Atikamekw.

Dans le Nitaskinan, la gronde se fait donc à nouveau sentir et s’intensifie avec la demande de moratoire par Manawan.

En mars 2021, un petit groupe, accompagné d'Innus et d'allochtones, a bloqué la route vers Manawan. Les chefs de territoire avaient déjà, eux, fait part de leur mécontentement au Conseil qui a, par la suite, écrit à Québec.

Au même moment, Wemotaci envoyait une lettre au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, qui évoquait des méthodes douteuses utilisées par l’industrie forestière pour les coupes de bois, des conséquences à long terme d'une telle façon d'exploiter le territoire, et qui dénonçait le mépris des exploitants.

Le conseil de Wemotaci réunit ses chefs de territoire à son tour cette semaine pour les écouter sur cette situation qui perdure. À Opitciwan, des familles ont aussi fait part de leurs inquiétudes au conseil de bande.

César Weizineau, chef de territoire, Opitciwan
César Weizineau, chef de territoire, Opitciwan Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Le territoire de César
Le territoire de César

Ses yeux font des va-et-vient devant le spectacle qui s’offre à lui. L’homme de 58 ans semble affecté. Il se plante au milieu du chemin et montre d’un vaste geste ce qui était, il y a encore deux mois, un refuge pour orignal. Le milieu humide qui se trouvait là était l’endroit parfait pour que les femelles y mettent bas et les petits y grandissent.

Depuis des années, César Weizineau refusait systématiquement toutes coupes forestières ici. Pourtant, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec revenait à la charge régulièrement pour tenter de conclure une entente afin d’avoir accès à cette zone. Mais l’homme n’a jamais rien cédé.

C’est mon territoire. Je suis le chef et je me bats pour essayer de conserver ce qu’il me reste, mais c’est dur, c’est difficile moralement, lance l’homme qui vit sur son territoire dès qu’il le peut.

Malgré son opposition répétée, le milieu humide a pourtant disparu. Une souche aussi large que lui symbolise le drame qui s'y est déroulé il y a peu : les machines sont venues abattre les arbres.

Personne n’a eu César à l’usure. La compagnie savait que je ne voulais pas, mais ils ont trouvé le noyau faible.

Espaces autochtones a pu consulter l’entente entre le ministère et sa famille. Il y est écrit à de nombreuses reprises que César Weizineau et d’autres membres de la famille ont refusé les coupes. Puis, à un moment donné, est arrivé le nom d’un cousin qui a accepté les coupes pour quelques cordes de bois : 30 m3 de bouleaux blancs de bois de chauffage.

Coupes forestières dans le territoire des Atikamekw.
Coupes forestières dans le territoire des Atikamekw  Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Or, le seul à pouvoir autoriser ces coupes est le chef de territoire, après consultation avec les membres de la famille. Dans ce cas, c’est toujours César Weizineau. Pourtant, le ministère a fait fi du refus constant de ce chef de territoire et s'est entendu avec un autre membre de la famille. Chose encore plus troublante, la fonctionnaire a même signé le document pour les deux parties, comme l’a constaté Espaces autochtones.

Les gouvernements ont l’obligation de consulter les communautés autochtones et, s’il y a lieu, de s'adapter à leurs besoins. Quatre rencontres par année sont généralement planifiées pour finaliser un chantier de coupes avec un chef de territoire qui a les droits sur un secteur précis.

Normalement, les conseils de bande – par l'entremise de leur bureau de gestion territoriale – doivent gérer les demandes d'harmonisation, c'est-à-dire les endroits où il est possible de couper et les compensations prévues. Les entreprises ne sont pas censées contacter directement les familles, mais les chefs de territoire témoignent d’une autre réalité.

César est un homme simple, qui dit ce qu’il pense, qui aime profondément son territoire. Il sait imiter le hurlement du loup, pister les orignaux, écouter les sons des oiseaux devenus trop silencieux à son goût. Des fois, il se fâche.

C’est facile pour eux d’argumenter des propos que nous, on comprend plus ou moins. Et c’est aussi une stratégie pour eux : diviser pour mieux régner.

« Les consultations, c’est de la "bullshit"! »

— Une citation de   César Weizineau, chef de territoire, Opitciwan

L’homme s’appuie sur une souche, regarde encore son territoire qui a trop changé. Je suis en colère et je suis peiné. Mais ça va servir à quoi de me mettre en colère? Me révolter? Des fois, j’ai envie de faire l’impensable, mais qu’est-ce que ça va me donner?

L’impensable, pour César Weizineau, c’est aller les sortir à coup de pied dans le cul. Les sortir d’icitte, car ils ne veulent pas nous entendre. Puis, il s’arrête, s’excuse pour sa façon de parler.

Coupes forestières dans le territoire atikamekw de Wemotaci.
Le va-et-vient des camions remplis de bois coupé est impressionnant dans le Nitaskinan, jour comme nuit. Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

L’Atikamekw d’Opitciwan est à bout. Cet été, le bureau de gestion du territoire de sa communauté est venu lui faire signer à la va-vite une entente, car la compagnie s’en venait couper. Sur un bout de papier, César Weizineau a rapidement gribouillé les endroits qu’il voulait protéger. J’ai été obligé, sinon ils auraient coupé comme ils voulaient!

Plusieurs chefs de territoire racontent d’ailleurs que les rencontres avec le gouvernement ou les entreprises ne sont que de simples séances d’information, car les décisions sont déjà prises.

Et même quand des ententes sont signées, elles ne sont pas toujours respectées. Un agent territorial d’Opitciwan estime que 40 % d'entre elles ne le sont pas. L’excuse des forestières est toujours la même : Ils se sont trompés. Une histoire qui se fait entendre d’un bout à l’autre du Nitaskinan.

Alors, sans surprise, César Weizineau d’Opitciwan veut lui aussi d’un moratoire pour mettre un frein sur ce qui se passe dans ces vastes territoires répartis entre les régions de Lanaudière et la Mauricie.

Le gouvernement doit changer sa vision. Il faut faire le ménage et toujours y croire, même si ce n’est pas facile d’être sur le territoire qui est en train de se faire dévaster par les compagnies.

Des coupes forestières ont lieu sur le territoire des Atikamekw.
Des coupes forestières ont lieu sur le territoire des Atikamekw. Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Un moratoire pour sauver des miettes
Un moratoire pour sauver des miettes

En février, les chefs de territoire de Manawan ont écrit au Conseil des Atikamekw de la communauté pour leur faire part de cette situation inacceptable : depuis plusieurs années, les compagnies forestières procèdent à des coupes massives sans aucun respect de leurs droits.

Ils dénoncent alors les entreprises qui se font des millions alors qu'eux n'ont que des compensations ridicules et réclament plus de participation pour sauver leur territoire. Ils évoquent la destruction de leur économie traditionnelle et, par conséquent, leur mode de vie. Inadmissible, écrivent-ils.

Dans la foulée, le Conseil envoie des lettres réclamant un moratoire immédiat à trois ministres québécois, dont celui des Forêts, de la Faune et des Parcs.

Glenn Dubé, du conseil des Atikamekw de Manawan.
Glenn Dubé, du conseil des Atikamekw de Manawan Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Ils réclament une nouvelle relation avec le gouvernement et les industriels, le respect de l’aménagement du territoire, une participation au développement équitable, ne plus être mis à l’écart et, pour certains, la fin de l’exploitation, explique Glenn Dubé, un des élus du conseil des Atikamekw de Manawan qui a récolté la signature des 32 chefs de territoire de sa communauté pour le moratoire.

Le conseil souhaite aussi un meilleur financement pour mener à bien les consultations.

Les Autochtones ont leur mot à dire sur les projets forestiers, miniers et pétroliers

Au Canada, les Premières Nations, les Inuit et les Métis ont des droits particuliers garantis par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, selon lequel les droits existants, tant ancestraux qu'issus de traités, des peuples autochtones sont reconnus et confirmés.

Les tribunaux canadiens, grâce à plusieurs arrêts, ont établi l’obligation de consulter et, s’il y a lieu, de s'adapter aux besoins des Autochtones.

De plus, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones définit des droits territoriaux, notamment par l’article 26 (Droit de posséder, d’utiliser, de développer et de contrôler les terres, territoires et ressources). Elle mentionne également la nécessité d’un consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones sur tout ce qui porte atteinte à leurs terres ou à leurs droits.

En juin 2021, la Loi concernant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est entrée en vigueur au Canada. Si Québec a appuyé la déclaration, le premier ministre a déjà fermé la porte à sa mise en œuvre intégrale.

Sans réponse autre qu'un accusé de réception et dans un ultime recours, étant donné ce ras-le-bol, explique Glenn Dubé, une lettre a été envoyée mardi au premier ministre François Legault pour lui faire part de leur décision.

On est au pied du mur, le vase est plein depuis longtemps, précise l'élu. Nous sommes dans l'obligation d'imposer un moratoire.

« On veut être entendus par le gouvernement. On a envoyé des lettres à trois ministres et nous n’avons eu qu’un accusé de réception. Nous voulons nous asseoir avec Québec! Il y a un ras-le-bol du côté des chefs. »

— Une citation de   Glenn Dubé, délégué principal au développement économique et centre de ressource territorial

Ce moratoire peut prendre plusieurs formes. D'abord, la demande aux forestières de cesser leurs activités, le refus de nouvelles demandes d'harmonisation, la saisie d'équipement, mais aussi la sensibilisation au bord des routes. Certains chefs sont prêts à aller plus loin s'il le faut.

Jo Ottawa, chef de territoire atikamekw.
Jo Ottawa, chef de territoire, Manawan Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Sur le coin de sa table de cuisine à Manawan, Jo Ottawa répète une courte phrase en atikamekw : Micta kice nota : On est extrêmement perdants. Il vient de dérouler une carte d’une partie de son territoire et les ententes d’harmonisation qu’il a faites avec le ministère.

À 87 ans, chef de territoire depuis 65 ans selon ses dires, Jo Ottawa connaît toutes les tactiques, toutes les pressions faites pour grignoter son territoire. Pour lui, c’est bien simple : les entreprises reviennent toujours à la charge. Leur insistance me fatigue, déclare-t-il dans sa langue.

La veille encore, une demande d’harmonisation lui a été formulée pour un secteur où se tient une montagne sacrée et un milieu idéal pour les naissances de faons et leur première année de vie. Un terrain mou qui est dans la ligne de mire des entreprises depuis les années 1970, raconte Jo Ottawa en se tenant la tête.

Une carte de territoire atikamekw.
Jo Ottawa montre la carte de son territoire avec les coupes faites et à venir. Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Malgré le moratoire, Québec continue d'envoyer des demandes d'harmonisation au bureau du Centre de ressources territorial de Manawan.

Je suis débordé, à bout de souffle, raconte Kevin Dubé, coordonnateur du Centre de ressources territorial. Le gouvernement doit passer par sa petite équipe pour faire des demandes de consultation sur 19 700 km2.

L'outil suivant, mis au point par l'Université du Maryland, permet de consulter l'ensemble de la perte du couvert forestier, incluant des causes natuelles comme des feux de forêt, enregistrée pour la période allant de 2000 à 2019.

Kevin Dubé va jusqu'à dire qu’il est ultra-tanné, car même s’il y a des protocoles, les entreprises sont parfois bien pressées et veulent couper tout de suite. Il faut donc régler vite, vite, vite. Il y a des volumes que le ministère doit atteindre! Il confirme que des entreprises vont même discuter directement avec les familles, ce qu’elles ne devraient pas faire.

Jo Ottawa en est convaincu : qu’il signe ou pas, les forestières vont venir couper. Plusieurs chefs de territoire et même un chef de conseil de bande ont confirmé ces agissements. Alors, selon Jo Ottawa, autant accepter en ayant un certain contrôle, plutôt qu’avoir une coupe illimitée. Autant protéger ce qu’il peut et, en contrepartie, obtenir un petit quelque chose. Très petit.

Des cordes de bois en mauvais état.
Ce tas de bois de chauffage fourni en contrepartie de droits de coupes était de mauvaise qualité et n'a donc pas été utilisé. Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Bien souvent, les entreprises offrent en guise d’harmonisation du bois de chauffage, des planches pour construire un chalet ou le défrichement d’un chemin.

En atikamekw, il répète : Micta kice nota.

D'autant que lui aussi a son lot d’histoires d’ententes d’harmonisation non respectées : des parties du territoire coupées alors qu’elles ne devaient pas, mais aussi du matériel reçu, comme des planches 16 x 16, alors qu’il avait demandé des 20 x 20, et des chemins non défrichés, contrairement à l’entente.

Selon les chefs, les estimations varient sur les compensations, mais tous les qualifient de ridicules. Certains disent qu'il s'agit de 0,05 % de ce que gagne une entreprise, d'autres, de 2 cents du mètre cube. Il semble y avoir beaucoup de cas par cas. Que ce soit pour l'évaluation de la compensation ou pour la superficie des coupes dans le Nitaskinan, difficile d'avoir des chiffres précis.

Selon le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec, chaque année en moyenne depuis 2017, 437 km2 du Nitaskinan sont coupés. Un chiffre relativement réaliste, indique le conseiller sur la planification écologique du territoire qui travaille avec les Premières Nations, Yvan Croteau.

Il ajoute, du même souffle, que c'est tout de même énormément plus que la moyenne du Québec. Selon ses calculs, la pression est de 17 à 50 % plus forte sur le territoire atikamekw qu'ailleurs au Québec. La variation s'explique par les méthodes de calcul.

« Quand je regarde, c’est trop saccagé. L’exploitation forestière dévaste tout sur son passage et l’impact est réel sur l’habitat de l’orignal, sur sa nourriture. »

— Une citation de   Jo Ottawa

Alors, Jo Ottawa n’a pas hésité à se joindre aux autres chefs de territoire et à signer ce moratoire pour préserver le territoire, les animaux et la médecine.

Un territoire de la nation atikamekw.
Un territoire de la nation atikamekw Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Des droits difficiles à défendre
Des droits difficiles à défendre

Dans son camp à plusieurs dizaines de kilomètres de Manawan, Gaston Moar montre une pièce qui a été ajoutée à son chalet initial grâce aux planches reçues par la forestière.

Chef de territoire depuis 25 ans, il estime que 85 % ont été coupés. C’est énorme, lâche-t-il. Pourtant, ce que lui et sa famille ont reçu, ce sont des peanuts. Son camp est loin d’être un château. Juste un simple petit chalet où une bonne odeur de chaussons aux petits fruits rouges flotte.

Gaston Moar, chef de territoire Manawan.
Gaston Moar, chef de territoire, Manawan Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Gaston Moar regrette amèrement. Alors, pourquoi avoir accepté?

On dirait qu’on est forcé de dire oui. Ils se disent qu’ils vont me donner un petit quelque chose en retour. Ils profitent de la pauvreté des gens, c’est en plein ça!

Un autre chef de territoire explique s'être déjà fait dire d'accepter, car les entreprises engagent des Autochtones de Manawan. Si vous n'acceptez pas, ils n'auront plus d'emplois!

Gaston Moar sort une tasse et montre les gravures qu’il fait dessus, un passe-temps qu’il apprécie. Il ajoute : En tant que chef de territoire, je dois consulter les membres de ma famille et ce sont des familles élargies. Mais ceux qui demandent les coupes forestières, c’est du monde pressé, très pressé qu’on leur réponde!

Il n’est pas contre le développement économique avec les forestières. Lui-même a travaillé dans le domaine. Mais il préférerait que les Atikamekw, plutôt que les entreprises forestières, exploitent les forêts du Nitaskinan. Ils partagent des millions, et nous autres, on n’a quasiment rien!

Une fois, il a pris sa camionnette à 3 h du matin pour aller déloger une entreprise qui coupait des érables sans son autorisation. Alors, s’il le faut, il ira bloquer les machines encore. Pour les jeunes qui se sentent de plus en plus interpellés à laisser un legs, pour les générations futures, pour l’orignal qui sans forêt n’a plus son peigne et attrape des tiques. Pour éviter les inondations aussi. Pour le garde-manger. Selon les chiffres qui ressortent le plus souvent, 30 % de l'alimentation des Atikamekw provient toujours du territoire.

Et surtout, pour préserver sa culture.

« Quand je pense que nos forêts sont en train d’être coupées, c’est comme si on était dépouillés de notre culture. »

— Une citation de   Gaston Moar
Charles Coocoo de Wemotaci.
Charles Coocoo de Wemotaci Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Une phrase qui fait écho à des centaines de kilomètres de là aux abords du lac Coocoo sur le territoire de Wemotaci. Charles Coocoo philosophe en se balançant.

Quand on voit le bouleversement, tout est coupé. Les gens se sentent déconnectés de la terre. Ils ne peuvent plus recevoir le bien-être qu’ils absorbaient quand la nature était là. Ils se sentent abusés.

Charles Coocoo se bat pour avoir une aire protégée sur le territoire familial avec ce leitmotiv : Si la forêt est malade, les Atikamekw le sont aussi.

Lui aussi estime que les consultations ne sont que de la foutaise, de la menterie, qui se n’appliquent pas aux entreprises forestières. Lui aussi a déjà eu des demandes pour signer rapidement en prévision de coupes, et on l’avait prévenu : Si vous protestez, si vous ne voulez pas signer, ils vont commencer à couper.

D'après lui, quasiment impossible de sortir de cette situation. Même si je refuse, les coupes se font pareil. Et comment amener les groupes forestiers en cour quand on n’a pas d’argent? Ça prend de l’argent pour aller en cour, et on prétend que cette cour est pour protéger le peuple ou la société. C’est comme amener un groupe de gens à l’abattoir!

Coupes forestières dans le territoire des Atikamekw.
Sur le territoire de Manawan, les tas d'arbres coupés sont nombreux. Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Ses mots sont durs, mais comme les chefs de territoire rencontrés, il a cette impression de se sentir seul face aux forestières, face au ministère. Le combat de David contre Goliath.

C’est cela, David contre Goliath, confirme le grand chef du Conseil de la Nation Atikamekw, Constant Awashish. Ça a tout le temps été comme ça. Le non-respect systématique de nos droits! On a des gouvernements qui ont toujours essayé d’éluder, de contourner leurs obligations envers nos droits, et ça devient difficile pour de simples individus, mais aussi pour nous, les représentants, les élus atikamekw, de défendre correctement et convenablement les membres.

Il rappelle que tous les Atikamekw ont des droits sur le territoire, un droit ancestral protégé par la Constitution. Mais pour le moment, la relation est loin d’être gagnant-gagnant.

Le grand chef de la Nation atikamekw, Constant Awashish.
Le grand chef du Conseil de la Nation Atikamekw, Constant Awashish Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

« Quand il y a des coupes qui sont dévastatrices pour le territoire, la faune, notre culture, il vient un moment où c’est important de pouvoir dénoncer la situation et mettre nos poings sur la table pour dire : assez, c’est assez! »

— Une citation de   Constant Awashish, grand chef du Conseil de la Nation Atikamekw

Charles Coocoo n’y va pas par quatre chemins : c’est le système tout entier en place qui doit être revu. Les conseils de bande sont pris entre le développement économique, l’argent reçu par les gouvernements et l’intérêt des chefs de territoire. Et le ministère en profite, disent plusieurs chefs de territoire.

Le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec, Pierre Dufour, n’a pas voulu accorder une entrevue à Espaces autochtones sur le sujet.

Un document réalisé par Radio-Canada Espaces autochtones

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